jeudi 28 mars 2024

Taille Minimale de Capture pour l’espèce Brochet : réflexion sur la réglementation actuelle

La Taille Minimale de Capture : conséquences biologiques

La réglementation actuelle visant à protéger uniquement les jeunes individus grâce à la « Taille Minimale de Capture (TMC) » semble être à l’origine du déclin des individus de grande taille. Ce phénomène a été décrit dans de nombreux travaux à travers le monde, tant en milieu marin qu’en eau douce, que ce soit en laboratoire ou en milieu naturel avec toujours le constat d’une diminution des effectifs de gros individus lors de l’application d’une Taille Minimale de Capture (Thèse de doctorat de Nicolas Guillerault « Effets des mesures de gestion halieutique sur la conservation d’une espèce vulnérable : le brochet (Esox lucius) »).

Prenons un exemple marquant :

Un demi-siècle de suivi scientifique du lac anglais de Windermere (Edeline et al, 2007) a mis en avant une corrélation directe entre les prélèvements de brochets et :

  • La croissance individuelle de ces derniers
  • L’âge de leur maturité sexuelle

Ainsi, un taux de prélèvement de 3 à 7 % entre 1947 et 1963, avec application de Taille Minimale de Capture, a conduit à une diminution de la croissance des brochets. Sur cette même période, une augmentation de la précocité des brochets a été observée. Autrement dit, la pression de pêche semble pousser la population de brochets à investir dans une reproduction rapide plutôt qu’une croissance rapide, qui est la norme en milieu naturel. La pression de pêche avec une réglementation uniquement par Taille Minimale de Capture (TMC) conduit donc à une sélection artificielle des individus à faible croissance, puisque ceux à forte croissance sont plus rapidement prélevés. Il est intéressant de voir que dans le cas du lac de Windermere, ce phénomène est réversible puisque la forte diminution de l’exploitation de la ressource à partir de 1963 (taux d’exploitation divisé par 2) s’est traduit par une augmentation de la croissance moyenne chez le brochet sur les décennies suivantes. Cela étant, ce phénomène de récupération s’étale sur plusieurs décennies.

En plus de la pression de prélèvement supérieure à la capacité du milieu à produire de gros individus, les conséquences génétiques d’une telle pratique doivent être prises en compte. Un travail scientifique mené par Christian Jorgensen en 2007 (Managing Evolving Fish Stocks) a abouti à une synthèse bibliographique des études concernant les réponses de populations de poissons à des prélèvements règlementés par une Taille Minimale de Capture. Ces études ont été menées sur des périodes d’analyse allant de 13 à 125 ans, sur des espèces marines et d’eau douce. Elles mettent en avant une diminution de l’âge et de la taille de la maturité sexuelle, une diminution de la croissance annuelle, une augmentation de la fécondité chez les jeunes individus (au dépend de la croissance) et une perte de diversité génétique dans des proportions importantes, pouvant à long terme conduire à une déstabilisation des populations.

Source : FDAAPPMA 69, Jean-Pierre FAURE

Des idées reçues !

N’a-t-on jamais entendu au bord de l’eau cette phrase communément admise : « Comme chez l’homme, les vieux poissons sont des mauvais reproducteurs voire ne se reproduisent plus! ». Il convient de battre en brèche cette idée reçue concernant le brochet puisque les gros Brochets (généralement des femelles) sont les meilleurs reproducteurs ou reproductrices ! En effet, les œufs sont plus nombreux et plus fournis en réserves nutritives ce qui a le potentiel d’améliorer le recrutement (Hjort 1914, 1926 ; Field et al. 2008, Hixon et al. 2014). Par ailleurs ces individus ont un taux de croissance élevé et sont plus robustes face aux extrêmes climatiques. Les grands brochets sont essentiellement des femelles (longévité et croissance supérieure).

  • Les grandes femelles sont les plus efficaces pour la reproduction Grâce à un plus grand nombre d’œufs et meilleure fertilité :
  • Femelle de 60 cm = 45 000 œufs minimum ;
  • Femelle de 100 cm = 240 000 œufs en moyenne

Par ailleurs, lors de la reproduction de ces grandes femelles, le nombre de mâles fécondants est supérieur ce qui induit un meilleur brassage génétique. Enfin, le fractionnement des pontes est supérieur chez les grandes femelles induisant également un meilleur brassage génétique et une meilleure survie des œufs face aux aléas climatiques.

 

Les attentes des pêcheurs à la ligne

Aujourd’hui, il apparait que la pêche de loisir des carnassiers évolue. Nos pêcheurs souhaitent majoritairement plus de poissons trophées. Sur le plan halieutique, cela illustre une forme de révolution des pratiques en l’espace de moins de trente ans. Dans les années 1980 en France, la conservation et la consommation des poissons pêchés était la règle ; aujourd’hui, la tendance est exactement inverse avec une remise à l’eau régulière des brochets (pratique du no-kill).

Ainsi, on observe un décalage entre les attentes des pêcheurs, qui souhaitent plus de gros poissons, et la réglementation en vigueur qui conduit inexorablement à l’appauvrissement des peuplements de poissons en gros individus comme cela a été démontré précédemment.

Le système de Tailles Minimales de Capture, appliqué depuis près de deux siècles, présente donc une double incohérence :

Écologique, de par la sélection génétique de sujets à faible croissance et maturité précoce contraire à la sélection naturelle, ce qui induit des perturbations dans les structures de populations et altère leur capacité de résilience face aux perturbations environnementales,

Halieutique puisque cette réglementation ne permet pas de répondre aux nouvelles attentes des pêcheurs (notamment en termes de poissons trophées)

Quelle alternative aux Tailles Minimales de Capture ?

Il est intéressant de noter que le concept de Taille Minimale de Capture, en France, est issu d’une ordonnance prise sous Charles X en 1829. Si les tailles de capture ont évolué depuis, le principe même de protection des jeunes individus et de prélèvement exclusif des gros sujets date donc de près de 2 siècles, et n’a jamais été remis en question en France.

Les incohérences de cette réglementation étant connues, d’autres modes de gestion du brochet ont été expérimentés sur le plan international.

  • Différentes réglementations ont été testées outre atlantique dans la région des grands lacs sur plusieurs décennies (Pierce, 2010). Dans le Minnesota, la mise en place de tailles maximales de capture (ex : prélèvement autorisé des poissons jusqu’à 50 ou
    60 cm maximum, remise à l’eau des poissons au-delà de cette taille) ou de fenêtres de capture (prélèvement autorisé des poissons de taille comprise entre 50 ou 55 cm et 76 cm uniquement) ont démontré une efficacité dans le long terme pour multiplier par 4 les proportions de poissons de grande taille.
  • En Finlande, a été menée l’expérience suivante à partir de 2008 : ouvrir à la pêche sur 4 lacs en réserve intégrale dont les structures de peuplements de brochets étaient initialement proches, sur 2 lacs une TMC de 40 cm a été mise en place tandis que sur les 2 autres a été mise en place une fenêtre de capture (possibilité de conserver les poissons compris entre 40 et 65 cm). Les résultats sont sans appel : sur les lacs avec seulement une TMC, après seulement 6 saisons de pêche, les gros sujets (>65 cm) ont disparu des captures, la densité de brochets ayant même largement chuté sur l’un d’eux. En revanche, pour les lacs avec une fenêtre de capture, on remarque une stabilisation de la population, aussi bien en termes de densité que de structure de population (Tiainen et al, 2017).

Une nouvelle réglementation serait-elle envisageable ?

Les résultats de ces études pointent du doigt les conséquences négatives de l’instauration d’une Taille Minimale de Capture sans protection des gros individus. D’autre part, ces études semblent valider l’intérêt d’instaurer une fenêtre de capture, ayant pour but de protéger les juvéniles pour leur laisser atteindre l’âge de reproduction mais également les gros sujets, excellents reproducteurs.

Compte tenu des connaissances scientifiques en matière de gestion de population de brochets par l’halieutisme, il apparaît nécessaire de penser une nouvelle réglementation pour encadrer le prélèvement de ces derniers. La mise en place d’une fenêtre de capture pour le brochet semble être, au regard des connaissances actuelles et des attentes des pêcheurs, le meilleur compromis et la meilleure alternative au système actuel de Tailles Minimales de Capture compte tenu de ses impacts induits sur les populations de poissons. De nombreux scientifiques ont formulé ces recommandations depuis plus d’une décennie, allant jusqu’à simuler les bénéfices pour la pêche en termes de rendement (voir notamment Arlinghaus et al, 2010).

C’est ainsi que la Fédération réfléchie et travaille actuellement sur ce sujet avec les Associations de Pêche et l’Administration. Nous vous tiendrons au courant des avancées !

Pour aller plus loin : quelques références bibliographiques récentes

  • Determinants of angling catch of northern pike (Esox lucius) as revealed by a controlled whole-lake catch-and-release angling experiment —the role of abiotic and biotic factors, spatial encounters and lure type. Arlinghaus et al. 2017
  • Conservation and fishery benefits of saving large pike (Esox lucius L.) by harvest regulations in recreational fishing. Arlinghaus et al.2010
  • The capability of harvestable slot-length limit regulation in conserving large and old northern pike (Esox lucius).Tiainen et al.2017
  • Fluctuations in the great fisheries of northern Europe, viewed in the light of biological research. Rapports et Procèss-Verbaux des Réunions du Conseil Permanent International pour l’Exploration de la Mer. Hjort, J. (1914).
  • Fluctuations in the year classes of important food fishes. Journal du conseil international pour l’Exploration de la Mer. Hjort, J. (1926).
  • Exploring the BOFFFF Hypothesis using a model of Southern African deepwater hake (Merluccius paradoxus). Field et al2008.
  • BOFFFFs: on the importance of conserving old-growth age structure in fishery populations. Hixon et al.2014
  • Supporting Online Material for Managing Evolving Fish Stocks. Christian Jørgensen et al.2007
  • Trait changes in a harvested population are driven by a dynamic tug-of-war between natural and harvest selection. Eric Edeline et al.2007

Voir aussi

Renaturation en cours de la partie aval de la Jalle de Castelnau