mardi 19 mars 2024

La migration des civelles, plus de 10 ans de suivis !

Longtemps considérée comme une espèce commune, voire nuisible, l’anguille connait depuis les années 1980, un effondrement de ses stocks, la classant aujourd’hui « en danger critique d’extinction » par l’UICN. Les causes de son déclin sont multiples, pour la plupart d’origine anthropique, comme la surpêche ou la fragmentation de ses habitats. La difficulté de sa gestion réside dans son cycle de vie long et complexe.

La Fédération de Pêche et de Protection du Milieu Aquatique de la Gironde porte depuis 2008 un programme de suivi de la migration des civelles et anguilles sur le bassin versant des lacs médocains. Ce territoire exceptionnel de marais et lacs, en bordure d’océan se transforme alors avec l’arrivée des jeunes anguilles en véritable nurserie !

Le canal des étangs, un axe privilégié pour passer de la mer aux lacs

Les civelles ou pibales sont en fait de très jeunes anguilles (Anguilla anguilla) qui arrivent sur les côtes européennes. Elles entament une migration vers l’amont ou montaison, irrésistiblement attirées par les eaux douces. Elle est dite amphihaline car elle réalise une partie de son cycle de vie en mer (reproduction, migration des larves et des géniteurs) et une autre en eau douce (grossissement et migration des juvéniles et des adultes). Et c’est dans ces eaux douces continentales qu’elle est suivie plus particulièrement par les gestionnaires et scientifiques notamment dans le cadre du Plan de Gestion Anguille français (PGA) qui découle lui-même d’un règlement européen.

Sa proximité avec l’océan ainsi que ses marais font du bassin versant des Lacs médocains, un territoire remarquable pour accueillir les jeunes anguilles. Le canal des étangs nommé canal du Porge au sud, est donc un axe clé pour permettre l’accès des civelles et anguilles jaunes aux vastes zones d’accueil et de grossissement de l’amont.

Des civelles qui grimpent !

Sur le canal au niveau d’une écluse située sur la commune du Porge, la Fédération suit de janvier à fin juillet, les remontées des poissons sur une station de suivi biologique équipée d’une passe à anguilles. L’objectif principal est de récolter des indicateurs d’abondance et de qualité des anguilles en migration pour mieux gérer l’espèce et suivre l’état de sa population.

La passe se situe en rive droite du canal du Porge, à 7 km de l’océan, dans un local sécurisé en béton armé. Les anguilles accèdent au dispositif via une entrée située au pied de l’écluse et empruntent la rampe partiellement immergée et revêtue d’un substrat type brosse. En haut de rampe, les anguilles tombent dans le bac de piégeage par l’intermédiaire d’une goulotte qui les oriente. Une pompe installée en rive gauche permet l’alimentation continue en eau du bac de stabulation, l’arrosage de la rampe et de la goulotte, et la création d’un débit d’attrait en pied de rampe. Le personnel de la Fédération intervient plusieurs fois par semaine selon l’activité migratoire pour réaliser un suivi des quantités et de la qualité des poissons.

Rampe de la passe à anguilles
Amas de civelles sur la rampe

Toutes les anguilles sont capturées, triées selon des tamis de mailles différentes afin d’identifier des lots homogènes de taille et de poids. Ces lots sont alors pesés puis un échantillon de chaque lot est prélevé puis endormi pour la réalisation de la biométrie. Des informations sont alors relevées à chaque visite :

  • Poids de l’échantillon
  • Mesure de la taille des anguilles endormies
  • Vérification de l’état de santé externe du poisson
  • Stade pigmentaire pour les civelles
  • Température de l’eau et de l’air
  • Hauteur d’eau en pied de passe
  • Conditions météorologiques
Civelle transparente
Anguilles jaunes et civelles en cours de pigmentation

Ces mesures permettent d’estimer les effectifs totaux au cours de la saison et aussi de suivre les facteurs influençant la migration pouvant expliquer des variations dans les passages et les quantités.

Après mesure et réveil, les anguilles sont relâchées en amont de l’écluse. Elles vont pouvoir remonter le canal en empruntant plusieurs passes et coloniser les habitats en amont pour y grandir.

 Des remontés de civelles qui varient selon les mois et les années

Les civelles de l’année sont majoritaires par rapport aux petites anguilles jaunes avec plus de 90 % des effectifs d’une taille de 7 cm environ. Les individus les plus grands, beaucoup plus rares dépassent rarement les 20 cm.

En 2019, ce sont 92,5 kg d’anguilles qui ont franchi l’écluse du Pas du Bouc, ce qui correspond à un nombre estimé d’anguilles de plus de 196 363 individus, dont 77 % sont des juvéniles de l’année.

Les arrivées de civelles sont fluctuantes au cours de la saison. Les anguilles sont observées sur le site dès l’atteinte d’une température de 10- 11°C dans l’eau (autour de février-mars), décalant ainsi leur arrivée par rapport à l’aval du canal (dès le mois d’octobre de l’année d’avant). Cela s’explique par le fait que les civelles doivent rentrer en nage à contre-courant et non plus se laisser porter par la marée. Les anguilles jaunes elles aussi diminuent leur activité en saison froide et ne reprennent leur nage vers l’amont qu’avec des températures plus clémentes. Le débit est aussi un facteur stimulant la montaison des poissons. En cas de sécheresse, l’appel d’eau douce s’amoindrit et l’activité de migration des anguilles est à la fois moins stimulée mais aussi réduite (avec parfois des difficultés d’accès aux aménagements). Un autre point remarquable, plus les anguilles sont nombreuses plus elles sont « poussées » dans leur montaison (on parle d’un effet densité-dépendant).

La montaison est fortement liée au débit du canal du Porge et donc à la hauteur d’eau en pied de passe. Ce dernier dépend non seulement des précipitations conjuguées à l’évapotranspiration sur le territoire mais aussi à la gestion des niveaux d’eau des 2 lacs (Lacanau et Carcans-Hourtin).

De 2008 à 2011, la biomasse totale capturée a diminué au cours des années, allant de 95,9 kg en 2008 à 23,5 kg en 2011.

Les 2 années suivantes ont été les 2 plus grosses années de montaison sur la passe à civelles du Pas du Bouc, avec 135 kg en 2012 et 349 kg en 2013, soit presque 900 000 individus estimés pour 2013.

Puis une nouvelle diminution des captures a eu lieu à partir de 2014 pour atteindre une biomasse capturée de 40 kg en 2016.

Enfin, depuis 2017, les niveaux de captures sont à nouveau en augmentation.

Petite anguille deviendra grande…

Après leur montaison, puis leur croissance pendant plusieurs années allant de 3 à 18 ans, les anguilles se métamorphosent à nouveau et deviennent des anguilles argentées. Elles entament une dévalaison du canal et iront rejoindre l’océan pour une grande migration transocéanique en direction de la Mer des Sargasses au large de la Floride pour atteindre leur zone de reproduction.

Les lacs médocains contribuent ainsi à la production de futurs géniteurs de qualité qui vont grossir les rangs des anguilles reproductrices. La Fédération appuyée d’autres partenaires comme le SIAEBVELG, MIGADO et IRSTEA, suivent depuis 2018 ces anguilles argentées sur le canal.

Les partenaires financiers du programme :

Crédit photos : FDAAPPMA 33 et Laurent Madelon, FNPF

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