Venez à la rencontre de Jean-Claude, propriétaire riverain du Dropt sur la commune de Monségur et pêcheur depuis de nombreuses années. Grâce à Guillaume, animateur pêche, Fred, hydrobiologiste, Catherine travaillant sur la continuité écologique et Maxime chargé de l’Education à l’Environnement à la Fédération, Jean-Claude va essayer de mieux comprendre l’évolution de ce cours d’eau depuis ces dernières années.

>> Jean-Claude : Bonjour, je m’appelle Jean Claude, je suis riverain du Dropt depuis plus de 40 ans. Ces dernières années, la pêche y est très difficile et les peuplements de poissons semblent avoir changé. Que pourriez-vous me dire à ce sujet ?
Fred : Bonjour, le Dropt est un cours d’eau assez atypique de notre département long d’environ 133 Km pour une pente d’1,3 pour mille. Il traverse trois départements, dont 36 km en Gironde, avec 75 moulins dont 66 avec un ouvrage bloquant la circulation de l’eau. Ces particularités font du Dropt une rivière très peu courante et beaucoup moins attractive que d’autres secteurs courantogènes que l’on peut rencontrer sur notre territoire Girondin.
Cette absence d’écoulement limite la présence de nombreuses espèces de poissons et va à contrario, avantager la présence d’autres préférant les eaux stagnantes et les eaux tempérées se réchauffant assez rapidement. On retrouve des poissons de type lacustre comme le sandre, la perche et le black-bass pour les carnassiers, et la plupart des cyprinidés d’eaux lentes comme le gardon, le rotengle, la brème, la carpe…
L’effacement ou l’abaissement récent des ouvrages en aval a beaucoup changé la morphologie du Dropt, abaissant la ligne d’eau et laissant apparaître un lit mineur très encaissé par rapport à la hauteur de berge. Dites-vous une chose, les enjeux poissons sur la partie aval sont différents de ceux que l’on va retrouver sur Duras en Lot-et-Garonne, ou à Monpazier en Dordogne. La partie aval doit permettre de faire revenir des espèces quasiment disparues ou beaucoup moins présentes sur le bassin versant du Dropt, comme la lamproie marine, la grande alose ou l’anguille. J’imagine qu’il y a quelques années cette espèce était pêchée sur le Dropt ?
>> Jean-Claude : En effet, l’anguille était présente et nous la pêchions volontiers. Sur cette rivière, il y a des années, nous pêchions une quantité de poissons phénoménales, du brochet, du sandre… mais je n’attrape plus rien dans le Dropt ! J’avais un “pas de pêche” mais mon grand âge ne me permet plus d’y accéder.
Fred : Les fameux “pas de pêche du Dropt” ! Pour connaître le Dropt pour la pêche à la ligne, et pour l’avoir descendu plusieurs fois depuis une dizaine d’années, j’avoue que les pas de pêche sont présents sur à peu près tous les méandres du Dropt. Il y a toutes formes de plateforme, en plus ou moins bon état. Pour avoir connu les anciens présidents d’AAPPMA du Dropt partie Gironde, de nombreux pêcheurs fréquentaient ces pas de pêche pour notamment la pêche aux vifs. Est-ce toujours le cas aujourd’hui ? Globalement, en Gironde le nombre de pêcheurs a diminué durant les 20 dernières années. Les techniques de pêche changent et le petit pêcheur au coup ou aux vifs statiques est beaucoup moins fréquent au bord de l’eau.
Pour la pêche, il manque un réel attrait du Dropt. Les girondins vont préférer aller pêcher sur la Dordogne, la Garonne ou sur les grands lacs littoraux. Les Associations locales sont un peu à bout de souffle, elles ont du mal à se renouveler afin de relancer une dynamique qui pourrait entraîner un meilleur attrait des pêcheurs vis à vis de ce cours d’eau. Il faudrait demander aux jeunes pêcheurs locaux de prendre en main ces associations et de redorer l’image du Dropt. Il est différent des autres, mais le poisson y est bien présent. En atteste la capture à la ligne d’un brochet métré cette année sur la commune de Duras !!!
Les inventaires de 2019 à 2021 montrent également la diversité des espèces présentes




Autre exemple, en 2010, il y a eu une grosse pollution sur le Dropt. Je faisais partie des salariés ayant récupéré les poissons morts avec les bénévoles locaux. Nous avions sorti environ 3 tonnes de poissons dont une trentaine de sandres de 90 cm sans compter ceux de 80 cm, des black-bass de 40 cm et de très belles perches communes.
Enfin le graphique suivant vous présente les alevinages des 5 dernières années sur la partie Girondine, qui met en évidence les efforts réalisés par les AAPPMA pour la pêche.

Concernant le brochet, le Dropt est un cours d’eau peu accueillant pour cette espèce sur la partie girondine. Les zones de débordements accessibles pour sa reproduction sont quasi nulles. A l’aval, en amont du moulin de Bagas, le Dropt est trop encaissé limitant la possibilité de créer des zones de reproduction de cette espèce (sauf artificiellement).
Enfin les zones stagnantes du Dropt regorgent d’autres nuisibles pouvant impacter la reproduction de l’espèce (Ragondin, Ecrevisse…) et la mise en place de frayères artificielles par exemple.
>> Jean-Claude : Quelle pêche pouvons-nous « encore » pratiquer sur le Dropt ?
Guillaume : Une belle population de carnassiers est présente dans le Dropt mais la pêche y est un peu technique. Il est possible de voir passer des pêcheurs en “Float tube” (bouée gonflable individuelle) pour rechercher black-bass et brochets plutôt vers l’amont. Cette technique est redoutable car elle permet d’accéder à des endroits peu pratiqués des pêcheurs car les berges n’y sont pas forcément accessibles. La pêche en bateau peut également être réalisée. Les accès, disponibles ici, sont par contre à améliorer pour la mise à l’eau.
La pêche au coup y est cependant bien présente.
Pas mal de locaux la pratique avec des cannes allant de 5m à 8m et des lignes plutôt fines pour rechercher gardons et brèmes.
Des parcours de pêche à la carpe de jour et de nuit sont également ouverts sur le Dropt. La pêche au maïs ou à la bouillette sont possibles.
Enfin, certains “pas de pêche” ont disparu ou sont en mauvais état à cause de fortes crues, mais pour ceux toujours en place, ils sont souvent fréquentés par des pêcheurs au vif ou à fond recherchant les carnassiers (sandres, brochets ou anguille par exemple).
Fred : N’est-ce pas là l’avenir du Dropt ? Développer sur les secteurs accessibles la pêche au coup des cyprinidés et promouvoir davantage la pêche du carnassier en bateau et en float tube ! L’amélioration des accès ou cale à bateau, des alevinages un peu plus soutenus et des actions sur le milieu peuvent permettre de redynamiser cette activité sur le Dropt.
L’AAPPMA des Pêcheurs Réolais a déjà commencé en ce sens en essayant d’initier les plus jeunes à la pêche à la ligne.
Si vous êtes riverains du Dropt et que vous connaissez ces techniques rapprochez-vous des associations locales !
La sensibilisation via les écoles, les animations pêches et environnement peuvent également aider à redynamiser l’attrait du Dropt.


>> Jean-Claude : Depuis quelques années un nouveau problème est apparu sur le Dropt. Une partie de son lit est recouverte d’une algue ou d’une plante verte qui recouvre la totalité du cours d’eau jusqu’à ne plus percevoir l’écoulement de l’eau.
Fred : J’allais vous en parler, vous êtes plus réactifs que moi !! En effet, depuis quelques années la “lentille d’eau” a fait son apparition sur le lit mineur d’une partie du Dropt.
Étonnamment, ce genre de plante a plutôt tendance à se développer sur des plans d’eau ou dans des secteurs très lentiques de cours d’eau. Et pourtant, un large et épais tapis recouvre le Dropt !!
La lentille d’eau se développe sur le Dropt pour plusieurs raisons :
- Faible écoulement et faible circulation d’eau,
- Qualité de l’eau dégradée
- Réchauffement de la température de l’eau
Les fortes températures de l’eau lors des étés très chauds, associées à un hiver doux et un printemps assez précoce favorisent vraisemblablement ce type de phénomène (peu observé cette année). L’impact de ce recouvrement, hormis la pratique de la pêche, est la raréfaction des autres espèces d’hydrophytes (perte d’habitat), potentiellement à des développements ponctuelles et opportunistes de phytoplancton (voire cyanobactéries) faute de concurrents, et à une augmentation des phénomènes d’hypoxie voire anoxie (faible concentration en oxygène) dans l’eau durant la période estivale.
Tout cela ayant probablement des impacts sur les espèces aquatiques.
L’an passé, nous avions fait remonter ce problème à EPIDROPT, qui avait mis en avant un problème au niveau de la station d’épuration d’Eymet en Dordogne, avec des rejets de phosphates un peu trop élevés favorisant sans doute la prolifération de cette lentille. Pour finir, les problèmes liés à l’usage des engrais agricoles, à la continuité écologique et au faible écoulement de l’eau ont amplifié ce phénomène. Des actions sont actuellement menées pour diminuer ces impacts.
>> Jean-Claude : Hahaha, la continuité écologique. Un nouveau mot à la mode. Pourquoi abaisser ou détruire les barrages existants ? Ces retenus qui autrefois regorgeaient de poissons
Cathy : Le Dropt regorgeait de poissons autrefois ? peut-être … Le bilan des inventaires piscicoles réalisés sur le Dropt, de 2018 à 2020 entre Casseuil et Mesterrieux, montre plutôt un état perturbé du peuplement des poissons. Les espèces non indigènes sont très présentes. D’autres invasives, issues des eaux chaudes et calmes, sont observées. L’espèce typique, le brochet, est désormais absente. Quant à l’anguille, espèce grande migratrice, elle s’accumule en pied d’ouvrage non franchissable.
Ces observations indiquent des perturbations du milieu aquatique. Il s’avère que le Dropt présente un état écologique moyen. Cela est lié, entre autres, à ses nombreux seuils de moulin qui entraînent des modifications du régime hydrologique. Ils posent des problèmes à la bonne circulation des poissons, et, en absence de manœuvre des vannages, ils bloquent le transit sédimentaire.
L’enjeu est donc de rétablir la continuité écologique en décloisonnant le cours d’eau. Une gestion coordonnée des ouvrages hydrauliques (moulins, seuils, …) est visée à terme sur le Dropt domanial.
Les entités locales (Syndicat Mixte du Dropt aval et EPIDROPT) ont comme objectif de gérer au mieux les niveaux estivaux et favoriser le transit sédimentaire en période de hautes eaux. Sur l’ensemble du Dropt, le bon état écologique est à atteindre d’ici 2027 !
L’amélioration des déplacements de l’anguille est recherchée jusqu’à Eymet en Dordogne. La grande alose est concernée uniquement jusqu’en aval du seuil du moulin de Loubens.
Lorsque les hauteurs de chute des seuils sont abaissées, c’est pour permettre soit un franchissement naturel des poissons (cas de l’aménagement prévu sur le seuil de Labarthe), soit un aménagement moins onéreux en passe à poisson. Cela a été le cas au niveau du seuil de Casseuil et cela sera aussi l’option retenue pour le seuil du Moulin de Bagas (3ème obstacle depuis l’aval).
Le seuil de Casseuil constituait le premier obstacle à la continuité écologique sur le Dropt. Sa hauteur de chute a été abaissée et une passe à poisson à plots béton a été aménagée en rive droite du seuil en 2020.

>> Jean-Claude : Hormis la pêche et vos suivis scientifiques, êtes-vous présent sur le territoire du Dropt ?
Maxime : L’eau est une ressource essentielle sur la planète. Quand on imagine que seulement 2% de cette eau est douce et donc utilisable pour nous les Hommes, on comprend mieux l’importance de préserver ces milieux aquatiques. Il est vrai que depuis de nombreuses années, la nature change. Les poissons ont du mal à se reproduire, les insectes sont de moins en moins nombreux, les températures s’affolent, les rivières débordent … les sonnettes d’alarme, tirées par les scientifiques depuis de nombreuses années déjà, sont désormais une réalité…Nos écosystèmes se modifient.
Mais il est encore temps d’agir ! Les jeunes générations doivent être sensibilisées dès le plus jeune âge. Depuis maintenant 5 ans, nous avons développé à la FDAAPPMA33 un programme d’animations visant à faire découvrir la nature aux enfants.
Ici, sur le Dropt, nous travaillons avec EPIDROPT et allons réaliser plus d’une dizaine d’activités et de sorties avec les écoles. C’est un réel engouement qui est en train de naître, des nombreux établissements scolaires du coin nous contactent régulièrement pour effectuer des interventions naturalistes.
Avec les enfants, nous échangeons sur l’importance de la rivière, sur la protection de la biodiversité menacée, sur l’impact des activités humaines… Notre objectif est de faire en sorte que chaque élève devienne acteur de son environnement local, chaque enfant d’aujourd’hui peut devenir un éco-citoyens de demain.