Contexte
Les marais endigués du Bassin d’Arcachon ont été aménagés par l’Homme au XVIIIème siècle à des fins de saliculture et pisciculture. Aujourd’hui les usages ont changé et la plupart de ces écosystèmes constituent des zones de réserves et de préservation de la biodiversité. La réalisation d’un suivi des populations de poisson est une action complexe à mettre en œuvre et n’a donc pas été effectuée durant des dizaines d’années sur ces sites. Pourtant ces zones constituent des milieux essentiels pour la croissance et la reproduction des espèces piscicoles du Bassin d’Arcachon. Sans connaissance et préservation des espèces qui y vivent, certaines pourraient disparaitre.
En 2019, le Parc naturel marin a donc souhaité répondre à cette problématique en intégrant l’ensemble des domaines endigués compris dans le périmètre du Bassin d’Arcachon dont il est opérateur pour effectuer un premier suivi piscicole. En 2020, afin de mener à bien et de pérenniser cette action, un partenariat entre les gestionnaires des sites, le parc et la
FDAAPPMA 33 a émergé pour réaliser des inventaires piscicoles sur ces domaines endigués. La Fédération a été choisie comme prestataire pour mener à bien cette étude en raison de son expérience dans la mise en place d’engins de pêche passif, de son expertise, d’un engagement fort sur le territoire et sur la préservation des populations d’anguille, espèce remarquable dont la population est en déclin. L’année 2024 constitue la dernière année de cet état initial, le suivi pourrait être pérennisé par la suite sur certaines sites pilotes.
Présentation des sites et de la méthode mise en place
Les zones concernées par le suivi sont présentées sur la carte ci-dessous :
Afin d’obtenir des données exhaustives sur le fonctionnement des domaines endigués pour les espèces piscicoles, deux suivis complémentaires ont été mis en place :
- Des pêches au filet « chaussette » mis en place au niveau des écluses afin de connaitre la colonisation des réservoirs par les espèces piscicoles venant du Bassin d’Arcachon.
Cet engin est constitué d’un filet sans armature fixé à un cadre en acier galvanisé spécialement conçu pour être glissé dans le bâti de l’écluse. Il est conique d’une maille dégressive de 1,3 mm à 0,9 mm, long de 7 m et d’une ouverture d’1,20 m.
Ces pêches permettent de suivre les espèces au gré des marées et des ouvertures des écluses. Elles ont pour objectif d’observer les entrées d’espèces aquatiques (poissons, crustacés, autre…) selon les périodes de l’année de manière qualitative et quantitative. Ainsi, cela permettra de comprendre la dynamique de colonisation du site et de définir les périodes clés des ouvertures des écluses dans un objectif d’optimisation de la fonctionnalité des réservoirs.
Le suivi est effectué durant la marée haute lors de forts coefficients et durant toute la durée du flux entrant dans les réservoirs. L’ensemble des espèces qui transitent peuvent être ainsi capturées.
- Des pêches aux verveux effectuées dans les réservoirs pour connaitre le peuplement piscicole présent. Un verveux est constitué de filets avec des armatures et des entonnoirs en filet. Le principe est que les poissons entrent dans les chambres, entre les entonnoirs, mais n’arrivent pas à trouver la sortie. Ils se retrouvent ainsi piégés.
Il a pour objectif d’évaluer d’une part le stock en place en fonction des saisons, mais aussi à termes les effets d’une nouvelle gestion hydraulique sur les populations peuplant ces marais endigués. Il permettrait de suivre l’évolution spatio-temporelle du cortège d’espèces présentes, de manière qualitative et quantitative.
Installés dans les réservoirs, leur nombre varie en fonction de la taille et la configuration des sites ; ils sont positionnés perpendiculaire à la berge afin de capturer un maximum d’individus.
L’effort de pêche est fixé à 24 heures afin d’optimiser les chances de captures des individus se déplaçant plus la nuit, tout en minimisant le risque de mortalité des espèces capturées. Parfois lors de fortes chaleurs, ce temps est réduit à 12 h (pose le soir et relève le matin) afin d’éviter la mortalité des espèces. Les pêches ont donc lieu sur deux jours et sont réalisées de préférence durant les marées de mortes eaux (coefficient de marée inférieur à 70), afin de se placer dans des conditions plus ou moins similaires d’une année et d’un site à l’autre. Néanmoins, si les niveaux d’eau dans les réservoirs sont trop bas, ou la température de l’eau trop élevée (risque élevé de la mortalité des poissons), les pêches ne sont pas réalisées.
Pour chacune des techniques d’inventaire, les pêche ont été réalisées une fois par saison de janvier à juin et de septembre à novembre sur l’ensemble des sites, c’est-à-dire une en hiver, une au printemps et une à l’automne. Durant l’été aucun inventaire n’a été réalisé afin d’éviter une mortalité liée à la chaleur et au manque d’oxygène.
Mesures biométriques, physico-chimiques et traitement des données
Lors des captures pour les deux types d’inventaires, toutes les espèces sont identifiées, dénombrées, pesées, mesurées et immédiatement relâchées à l’endroit de la capture, à l’exception des espèces exotiques envahissantes qui sont détruites sur place.
La température et la salinité sont mesurées lors de chaque campagne de prélèvement à l’aide d’une sonde multiparamétrique afin d’avoir des informations sur les conditions du milieu lors des pêches.
Les analyses des données ont été réalisées à deux échelles :
- Temporelle : analyse saisonnière, annuelle et interannuelle,
- Spatiale : comparaison entre les différents domaines endiguées.
Elles concernent :
- Des analyses du peuplement aquatique en migration vers et dans les réservoirs : richesse spécifique, effectif, biomasse, analyse des classes de taille, mise en relation avec les conditions environnementales.
- Des analyses en CPUE (Capture Par Unité d’Effort) : les temps de pêche n’étant pas identiques entre chaque relève et entre chaque station, les effectifs et biomasses sont ramenés en CPUE pour comparer chaque inventaire de façon équivalente. Elle a été traduite en fréquence de biomasse : gramme par heure (g/h). Elle permet une comparaison homogène des biomasses et des espèces capturées entre les sites et dans le temps.
Principaux résultats obtenus entre 2019 et 2023
Globalement, les espèces capturées dans les bassins sont peu différentes des espèces capturées au niveau des écluses. Les espèces les plus représentées sont le mulet porc, l’anguille d’Europe, Le bar commun, le gobie commun, l’athérine prêtre et l’épinoche.
Il est intéressant de constater la présence d’espèces assimilées aux eaux douces : la gambusie orientale et la perche soleil (espèces invasives), la carpe commune, la tanche, le carassin argenté, la brème bordelière et le gardon.
Des espèces associées aux eaux marines sont également retrouvées comme la sardine d’Europe, l’anchois commun, l’orphie commune, le lançon, la blennie paon, le gobie noir, la sole sénégalaise, le sar commun et le congre.
A noter un spécimen de lamproie fluviatile capturé au Teich qui est une espèce migratrice.
Mais ces inventaires permettent aussi de capturer d’autres espèces comme les crevettes, et principalement la crevette des marais. Des crabes sont fortement présents dans les réservoirs, essentiellement du crabe vert. Des espèces invasives de crustacés sont observées mais en faible quantité : du crabe chinois et de l’écrevisse de Louisiane. Enfin, à noter la capture également de deux espèces de syngnathes : le syngnathe siphonostome et le syngnathe des lagunes.
Les graphiques ci-dessous présentent l’ensembles des espèces piscicoles rencontrées pendant toute la période de suivi (2019-2023) ainsi que leur répartition en fonction des sites :
Sur l’ensemble de la période de suivi (2019 à 2023), c’est à Certes et Graveyron où l’on dénombre la plus grande diversité avec un minimum de 18 espèces comptabilisées. Il est suivi de Piraillan avec 15 espèces, puis le Teich avec 14 espèces inventoriées (au minimum car certains individus n’ont pas pu être déterminés).
Il y a donc trois sites qui semblent être plus intéressants pour la diversité des espèces : Certes/ Graveyron, le Teich et Piraillan. Sur Piraillan, cette diversité est certainement à mettre en lien avec la position géographique (proche de l’océan) et l’accessibilité de ce réservoir pour les espèces (chenal profond à proximité des réservoirs favorisant le transit d’espèces marines). Cet avantage s’adresse surtout aux espèces sténohalines (espèces qui ne peuvent vivre que dans des eaux de salinité constante) puisque la salinité est élevée sur ce site. Concernant les sites de Certes/Graveyron et le Teich, il est intéressant de constater que ces réservoirs possèdent une grande superficie avec de nombreuses écluses qui pourrait expliquer les fortes diversités observées. Ils se situent de part et d’autre de l’embouchure de la Leyre qui apporte certainement une dynamique propice au cycle de vie des espèces. Enfin, il y a également le facteur gradient de salinité avec la présence de bassins d’eau douce et d’eau salée qui permet de diversifier le milieu.
Après analyse de l’ensemble de ces résultats, il est mis en évidence que les réservoirs constituent un écosystème particulier favorable aux espèces piscicoles et aux crustacés. La gestion hydraulique effectuée actuellement semble être bénéfique, puisque de nombreuses espèces en quantité parfois abondante ont pu être observées. Il semblerait que ces domaines endigués soient utilisés comme sites de recrutement et de croissance pour certaines espèces, notamment l’athérine prêtre, l’anguille d’Europe, le bar commun et le mulet porc. Ils constitueraient également un écosystème à part entière pour des espèces qui accomplissent la totalité de leur cycle de vie dans ces domaines endigués, comme l’épinoche, le gobie commun et la gambusie orientale (espèce introduite).
Les espèces piscicoles utilisent donc les réservoirs pour accomplir l’ensemble ou une partie de leur cycle de vie. Ils constituent déjà des lieux uniques de conservation et des écosystèmes pour la faune du Bassin d’Arcachon. Cette étude met en évidence que plus les écluses sont maintenues ouvertes (notamment lors de gros coefficients) et plus la biomasse et la diversité des espèces dans les réservoirs est forte. Cette gestion, déjà mise en place par les gestionnaires, pourrait être améliorée en fonction de la saison, des marées, des coefficients, des crues,… pour permettre l’entrée et la sortie de la faune aquatique, mais également en fonction de la disponibilité du personnel technique présent sur site. Le choix de cette gestion hydraulique devra être adapté à chaque site pour que le fonctionnement des domaines endigués soit optimisé. Elle pourra ainsi permettre de contribuer à la sauvegarde de la faune marine du Bassin d’Arcachon.